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8) Souvenons-nous : Témoignage d' Elie Wiesel, Paroles d'étranger, p. 16.
« Quand ce lieu ensorcelé était-il plus irréel ? En 1944 ou en 1979 ? Je regarde, je regarde les tours de guet, les baraques vides, les allées du camp, et soudain, elles se peuplent comme en un songe: je retrouve les êtres apeurés et sans visage de jadis; ils évoluent dans le monde à eux, dans un temps à eux, au-delà de la vie et même de la mort. La rampe, je revois la rampe. J'entends le tumulte du convoi à peine débarqué dans la nuit. Cris rauques, hurlements secs et gémissements sourds, aboiements des chiens : la machine bien réglée tue la pensée avant de tuer la vie. Où sommes-nous ? Où allons-nous ? Auschwitz : connais pas. Birkenau : connais pas. Les flammes rouges qui mordent le septième ciel n'évoquent aucune crainte, aucun souvenir. Les barbelés s'étendent à l'infini, et l'enfant en moi dit : tiens, l'infini existe. Un simple ordre, transmis par mille bouches, suffit à diviser la foule : d'un côté, les hommes ; de l'autre, les femmes. Dernières paroles, derniers regards. Dans le fleuve humain qui, saisi d'un étrange recueillement, s'écoule lentement, silencieusement, je vois pour la dernière fois une mère et sa petite fille, je les vois avancer la main dans la main comme pour se rassurer l'une l'autre, je les verrai ainsi, de dos jusqu'à la fin de ma vie. »
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